Les improvisateurs de chez Impro-Bretagne ont publié une critique intéressante d’Impro de Keith Johnstone, sous la forme d’une conversation.
Puis-je me joindre à la discussion ? 🙂
Qu’est-ce qui rend la lecture de ce livre indispensable ?
JG : James Roose Evans nous donne sa réponse sur la quatrième de couv’ en affirmant :”Impro est le livre sur le théâtre le plus dynamique, drôle, pertinent, utile et stimulant que j’ai jamais lu”. Je crois qu’on peut clairement dire qu’il n’a pas dû lire beaucoup de livres sur le théâtre depuis un bon moment (rires)
CLC : Ou qu’il ne connait pas bien l’humour !
CB : Oui, parce que ce n’est pas non plus désopilant.
CLC : Ce n’est pas la lecture qui m’a fait le plus rire dans l’année… En comparaison il y a des livres bien plus drôle : même sur l’impro, il doit certainement y’en avoir de plus marrants !
Ian : Nous n’avons pas dû lire le même livre ! Le livre en lui-même n’est pas un livre comique, certes. Cependant, certains passages (surtout sur les statuts) sont totalement jubilatoires et je me rappelle avoir dû m’arrêter en souriant bêtement ou en riant à haute voix à plusieurs reprises car ils sont tellement criants de vérité ! Après, va-t-on baser la critique du livre sur la citation d’un autre auteur en quatrième de couverture ? Nous nous égarons, messieurs…
JG : Mais des livres sur l’impro il y a en a peu…
CLC : Et c’est justement ce qui rend la lecture de cet ouvrage indispensable, nous manquons d’écrits sur l’improvisation, comme il y en a peu, un nouvel ouvrage donnera forcément un nouvel éclairage.
JG : Je ne crois pas que sa lecture soit cruciale, du moins en début de pratique. Il donne tout de même l’envers du décor sur le lâcher prise, sur la responsabilité de création que porte l’improvisateur. Au début, nous n’avons pas besoin de nous encombrer avec tout cela.
Ian : Je suis bien d’accord. Le débutant libre de tout a priori découvrira certainement mieux par lui-même les vérités contenues dans l’ouvrage que s’il cherche volontairement à les retrouver après une simple lecture.
Cependant, je dirais que le livre est utile après une année de pratique environ : c’est en général à ce moment-là que l’improvisateur devient à l’aise avec la scène et se met à « copier » ses mentors ou ses partenaires. Et là où Johnstone est salutaire, c’est que son livre enseigne à observer non pas les autres improvisateurs mais la vie réelle par souci d’authenticité. Il enseigne à développer un « sens moral » de l’improvisation théâtrale – raconter des histoires, toucher du doigt la vérité, affecter le public – qui pourra éviter aux débutants de nombreuses frustrations que l’on retrouve chez certains improvisateurs aguerris après des années de pratique « codifiée ». Il enseigne à trouver sa propre créativité.
CB : C’est plus un livre pour les enseignants ou les penseurs de l’improvisation. Il défend une méthode qui n’est pas au service de la construction et de l’écriture autonome. Il travaille sur la direction d’acteur, en donnant des billes aux pédagogues mais pas forcément aux acteurs. Il semble les guider énormément, leur proposant des systèmes qui peuvent les rendre dépendants.
Ian : C’est effectivement un livre assez philosophique, oui. Par contre, je ne suis pas du tout d’accord pour dire que la méthode n’est pas au service de l’écriture “autonome”.
Oui, son point de vue est celui d’un animateur d’atelier et d’un metteur en scène, et pas celui d’un improvisateur. Mais c’est ce qui fait sa force, par opposition aux autres auteurs sur l’improvisation théâtrale qui ont tous à un moment donné été comédiens. Et en tant que metteur en scène, Keith Johnstone n’a qu’un seul but : libérer ses joueurs.
CLC : Ah !! mais ce n’est pas un manuel de pratique du tout, c’est un ouvrage de réflexion contrairement au manuel de Tournier qui lui est vraiment accessible à tous. Là, on est dans de l’esthétique de l’impro. Il y a peu d’exos, peu d’aides pratiques, ça donne de la culture : point. C’est un ouvrage de culture générale, qui nous arrive malheureusement avec 30 ans de retard tout de même *. De plus, il me semble qu’il y a un décalage entre ce que raconte ce livre et être un Johnstonnien.
Ian : Le livre fourmille d’exercices et la grande force de Johnstone, c’est de les donner « en contexte », « comme si vous y étiez ». C’est un des rare pédagogues à parvenir à retranscrire avec autant d’authenticité l’atmosphère, l’esprit d’un exercice. On ne peut pas dire qu’il soit moins “accessible” : le livre est connu pour avoir marqué des gens de toutes origines et de tous milieux !
Après, je vous l’accorde, il n’est pas “pratique” : il est quasiment impossible de retrouver un exercice quand on en a besoin, le livre est assez bordélique ! Mais à ce sujet, Ouardane a commencé un important travail d’indexation des exercices sur le WIJI : je vous le recommande.
Au final, le livre me rappelle plus un La Préparation de l’Acteur de Stanislavski qu’un Manuel d’Improvisation Théâtrale de Tournier. Et en terme de portée et d’impact, à mon sens, Impro est bien plus riche que le Tournier.
Alors qu’est-ce que c’est être un Johnstonnien ?
CLC : Pour moi, c’est prôner une certaine liberté de création, tout en étant très dogmatique dans sa pratique. On a du mal à comprendre comment ce gars qui s’est affranchi d’un système ait pu créer une église. Finalement cette liberté passe par un maître : les Johnstonniens semblent assujettis.
Ian : Que les Johnstioniens soient assujettis à Johnstone, c’est une lapalissade ! Tout système porte en lui une nécessaire influence. Mais les Johnstoniens seraient-ils plus fanatiques que les praticiens d’un autre système ? C’est subjectif et cela dépend bien sur de l’échantillon que vous prenez…
Cela dit, n’attribuons pas cette « faute » à Johnstone qui s’est lui-même à de nombreuses reprises écarté de son propre héritage, notamment avec le mouvement du Theatresports. Tout au long de la lecture de l’ouvrage, on ne peut que remarquer le ton et les formules employées par Keith montrant à quel point il n’est pas sectaire… Combien d’auteurs sur le théâtre s’autorisent à chercher des références théoriques dans le tribalisme, la psychologie de groupe, la zoologie ou le sport de haut niveau ? Tout ce qui lui permet d’aider ses comédiens est vu par lui comme bon et utile ! Il serait le premier à recommander d’aller voir ailleurs, même s’il exprime bien sûr ses opinions sur le travail d’autres « écoles ».
Pour moi, un Johnstonien c’est quelqu’un qui a lu et compris Keith, qui est d’accord avec ses postulats et sa vision et qui sait mettre en pratique son enseignement. Et un vrai Johnstonien, paradoxalement, c’est aussi quelqu’un qui est prêt à remettre en cause tout ça à tout moment et à continuer d’explorer les pistes que Keith a commencées par d’autres voies. D’ailleurs, Keith invite souvent ses élèves à le remettre en question en atelier…
JG : Et le maître est toujours vivant. Un courant de pensée, c’est souvent compliqué à gérer pour les héritiers. Surtout quand les écrits existent, le cadre est plus étroit et difficilement maniable.
CLC : Dans d’autres pratiques liées à l’improvisation, la transmission est souvent orale donc plus empirique et surtout collective. Il n’y a pas de garant, la pratique évolue certainement plus librement à mon sens. Mais un jour, les Johnstonniens se libéreront de “papa impro” et cela sera très intéressant certainement.
Ian : A mon sens, rien ne prouve que la transmission orale permette une évolution plus libre. Il suffit qu’un « gourou » – et on en connait tous près de chez nous… 🙂 – s’impose, a forciori avec une tradition orale (qui permet de dire tout et son contraire, car aucun discours n’est “opposable” puisque non écrit), et on se retrouve à nouveau dans une situation très limitée.
La semaine prochaine, nous vous parlerons des chapitres qui nous ont le plus intéressés et nous nous demanderons si finalement ce livre, écrit dans les années 80, n’a pas 30 ans de retard…
Ian : Bien que publié en 1979, le livre a en réalité commencé à être écrit dans les années 1960 (déjà à ce moment-là, Keith a formulé la plupart de ses exercices quand il dirige la troupe Theatre Machine) et c’est ce contexte à mon avis qui fait défaut à votre analyse.
Imaginez un homme qui par ses idées, bien que s’inscrivant dans une dynamique collective certes, a chamboulé un Théâtre Britannique d’après-guerre totalement sclérosé et où la censure permanente de la Couronne existait encore ! Comment réagiriez vous si on vous interdisait aujourd’hui de jouer vos spectacles ?
De plus, les idées formulées à l’époque sont à la fois totalement évidentes et révolutionnaires. Le statut, par exemple, est une vérité humaine et universelle et l’avoir « révélée » dans ce contexte-là est un tour de force. Après, on peut ne pas trouver cela si génial et je le conçois tout à fait… Mais au-delà de la qualité littéraire ou du contenu des idées, lire du Gravel, du Spolin ou même du Boal s’apprécie dans le contexte politique de l’époque.
Le plus fascinant avec ce livre à mon sens, c’est que ces idées restent très vraies et très actuelles. Enfin, contrairement aux travaux des autres « maitres de l’impro » à mon sens, elles inspirent bien au-delà des cercles de l’improvisation théâtrale…
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