Je suis au Mali actuellement, pour le travail. J’y suis depuis mi-novembre et je devrais y rester encore jusqu’à juillet ou aout avant de revenir sur Paris.
Cette courte expatriation était l’occasion de faire un break avec l’impro. D’arrêter et de me poser un moment: après à peu près cinq ans de pratique, ça fait du bien. Mais c’est aussi très frustrant car l’impro me manque.
Je devais rejoindre la troupe cette semaine à Chicago pour le Chicago Improv Festival 2010, mais nous ne y rendrons finalement pas: l’éruption du volcan islandais a entrainé l’annulation de nos vols. J’en profite donc pour rédiger cet article que j’avais sous le coude depuis deux mois.
Je ne voulais pas rompre tout contact avec la discipline au Mali. D’abord, je voulais me mettre à la lecture d’un certain nombre de bouquins d’impro et de théâtre que je n’avais pas eu le temps de lire. Je voulais également alimenter un peu plus mon blog. J’ai donc lu et écrit un peu plus que d’habitude.
Mais surtout, je voulais profiter d’être ici pour découvrir la culture locale, en particulier la culture locale liée aux arts de la scène: théâtre, contes, masques, marionnettes, etc… Je voulais essayer de rencontrer des maliens et jouer éventuellement avec eux. En pratique, j’ai eu du mal à trouver une troupe locale. Et je ne voulais pas créer de troupe d’impro, de peur que mon séjour ne soit pas suffisant pour créer quelque chose de pérenne, et puis, comme je l’ai dit, je voulais faire un break.
En tant que spectateur, j’ai pu assister à une ou deux pièces depuis que je suis ici, de qualité inégale, pas forcément uniquement maliennes mais plutôt ouest-africaines, et également à un spectacle de sketchs et one-man shows de comiques maliens. Je n’ai pas encore vu de spectacle de masques.
En fait, en arrivant, quand j’ai commencé à dire que j’étais intéressé par le fait de faire du théâtre, je me suis fait inviter aux répétitions d’une troupe par un ami. Je pensais tomber sur des maliens, mais je suis en réalité tombé sur un groupe d’expatriés. La troupe était essentiellement composée d’amateurs, certains très bons, mais globalement avec une qualité de jeu inégale. La troupe disposait cependant d’une metteuse en scène avec une certaine expérience, ayant mis en scène plusieurs spectacles de qualité dans différents pays de la zone. Un de leurs acteurs les avait lâché et ils m’ont mis le grappin dessus dès la première répétition. J’étais à la fois intrigué et n’ayant pas immédiatement refusé, je me suis senti un peu forcé de continuer.
La pièce était un boulevard écrit par Gérard Darier qui s’intitulait Jour de Solde dans lequel je jouais un petit rôle, celui de Laurent, le fils du patron des Magasins Matallo, une boutique familiale de prêt-à-porter en perdition. C’est un rôle secondaire, dont le but est essentiellement d’apporter de l’information à la pièce, avec quelques effets comiques ponctuels. J’ai rejoint la troupe, qui répétait depuis octobre, en décembre et nous avons joué le spectacle à trois reprises début mars, dont une fois au Centre Culturel Français, un vrai théâtre et une des plus belles salles de Bamako devant à peu près 300 personnes.
Venir à Bamako pour jouer un boulevard, il faut le faire quand même! En même temps, je n’aurais probablement jamais trouvé le temps de le faire à Paris.
A la première lecture de la pièce, j’ai été un peu déçu. J’ai trouvé les ressorts comiques assez faciles, parfois un peu vulgaires, mais surtout narrativement, j’ai trouvé la pièce décousue avec plusieurs intrigues qui n’étaient pas complètement dénouées à la fin. Je me suis aussi posé la question de l’utilité de créer des petits rôles sans réelle envergure, ne serait-ce que d’un point de vue pratique pour ce que cela impose aux acteurs, obligés d’être présents aux répétitions pour ne donner une réplique par acte.
Mais au fur et à mesure que nous travaillions la pièce, même si toutes mes réserves n’ont pas disparu, j’ai découvert la force qu’apportait le fait d’avoir un texte. Un texte se travaille, s’interprète. On peut lui donner du sens. On peut y apporter des modifications, des adaptations. Ça s’apprécie, ça s’apprivoise, ça se dévoile. Des passages que je trouvais assez médiocres en première lecture pouvaient devenir brillants une fois interprétés. Mais inversement, des passages brillants pouvaient être complètement gâchés par les acteurs. C’était particulièrement intéressant pour l’improvisateur que je suis.
Mais avoir un texte nécessite de l’apprendre. C’est le premier gros choc culturel par rapport à l’impro. L’absence de texte est probablement LA principale raison pour laquelle l’impro m’a attiré initialement. J’ai mis du temps avant de savoir mon texte. J’ai râlé, souvent. J’improvisais des répliques. Quand la troupe ne savait pas son texte, les répétitions s’en ressentaient.
Et puis il y a eu un déclic. A peu près deux mois après que j’ai rejoint la troupe, en janvier, il y a eu une répétition où tout le monde savait son texte et où le déclic a eu lieu: pour la première fois, je sentais le rythme de la pièce, et je me suis rendu compte de l’importance du texte. Tout s’enchainait et certains passages se mettaient à « fonctionner. » C’est là que je me suis dit que le texte, loin d’être une contrainte, libérait. Car à partir de ce moment-là, j’ai réalisé toute la liberté qu’avait l’acteur une fois que lui et ses partenaires s’étaient appropriés le texte. On pouvait en jouer et se faire plaisir avec. Et l’ambiance dans la troupe s’en ressentait.
Le texte contraint: il faut s’en rappeler, ne pas rater de réplique et ne pas bouffer celles des autres ou pire, carrément sauter du texte. Mais le texte libère: quand il est acquis, on « redécouvre » la pièce, son rythme, on peut tester des variations autour d’une réplique, et le choix de l’acteur, son jeu d’acteur et son interprétation du personnage prennent tout leur sens.
Ce fut au final une vraie claque pour l’improvisateur que je suis, qui a tendance à n’accorder aucune espèce d’importance aux mots qui sortent de ma bouche quand j’improvise! Désormais, je me rends compte qu’on peut approcher le texte, même en impro, avec respect, voire même sacralité, et que cela peut décupler l’impact d’une scène. Même si je n’ai pas de texte en tant qu’improvisateur, je peux désormais « faire comme si » et reproduire cette approche car je connais la sensation que procure le fait d’avoir un texte et de pouvoir compter dessus.
Au delà de ce principal enseignement, je retire une multitude de petites leçons que le théâtre peut apporter à l’improvisateur et qui, je l’espère, vont enrichir ma pratique:
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L’ambiance en coulisse : la tension n’avait rien à voir. En improvisation, la plupart du temps, je guette une opportunité de monter sur scène et de développer la scène. Ici, je cherche surtout à ne pas faire défaut à mes partenaires, à ne manquer aucune entrée, aucune réplique car lorsque c’est le cas, tout est mis en péril. La tension est à un niveau largement supérieur, une erreur n’a pas le même impact. J’aimerais amener avec moi sur scène cette concentration.
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Élocution et volume : je croyais avoir un bon niveau d’élocution et une bonne portée de voix, mais ce n’était apparemment pas le cas et il m’a fallu un temps avant de retrouver le bon niveau. Peut-être est-ce dû aux salles intimistes où l’impro est pratiquée? En tout cas, au théâtre, un défaut d’élocution, c’est avant tout une perte de texte et de compréhension pour le public: on ne peut pas se le permettre.
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Posture, position sur scène : en plus de la posture qu’on confère au personnage, il faut faire particulièrement attention à la posture qu’on offre au public, au fait d’être ouvert vers le public, sous peine de ne pas être bien entendu de lui. Et la mise en scène du spectacle fait que chaque position est millimétrée: avant-scène, côté cour, côté jardin. Le choix de la position donne du sens au texte, mais surtout fait partie de l’échange que l’on a avec nos partenaires, et on ne peut se permettre d’être mal placé.
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Rythme des répliques : probablement était-ce du au style de la pièce, mais la capacité à coller ses répliques est à travailler. C’est un aspect que l’on ne souligne pas forcément suffisamment en impro, puisque justement on ne sait pas quand une réplique est finie ou non.
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Personnages et jeu d’acteur : doit-on jouer un personnage, quitte à sur-jouer, ou doit-on se limiter à « faire vrai » ? J’ai l’impression que beaucoup approchent le texte et le personnage en se demandant: comment faire pour que ça « sonne vrai » ? La réponse la plus évidente, que j’avais tendance à partager, est « en étant naturel » c’est à dire, en étant soi-même, mais légèrement différent. Cependant, et c’est peut-être dû au fait que la pièce était un boulevard, j’ai trouvé que les meilleures prestations étaient celles des acteurs qui se lâchaient et théâtralisaient. En tout cas, à partir du moment où le texte était acquis, l’acteur pouvait faire des choix et commencer à « jouer » avec son personnage, ouvrant toute une nouvelle dimension à certaines scènes.
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Souci des détails, des costumes, de l’organisation, des décors : les décors et costumes aident à entrer dans la pièce. Mais surtout, ils rendent les choses concrètes, tangibles. Encore une fois, cela renforce l’importance du texte par rapport à l’impro, où le décor et les accessoires, absents, font que n’importe quel texte peut-être joué. Cela renforce la théâtralité et l’engagement des acteurs par rapport à la pièce. Cela crédibilise la pièce pour le public. L’unité de lieu, qui peut s’expliquer par des critères pratiques (on ne peut changer de décor en permanence), tient aussi simplement du bon sens : le public s’appropriera plus l’intrigue et les personnages s’il n’a pas à faire un effort pour voir le décor ou pour intégrer les changements de décors. L’unité de lieu gagnerait à être exploitée en impro, où l’on abuse des changements de décors (« Pendant ce temps là, dans le château… ») comme d’un mécanisme pour redynamiser une scène.
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Importance des personnages secondaires : les personnages secondaires apportent de l’information, et permettent de le faire d’une manière relativement naturelle, tout en donnant du répit aux acteurs jouant les personnages principaux et au rythme de la pièce. J’ai tendance à ne vouloir monter qu’en rôle principal, je dois m’entrainer à monter plus souvent en personnage secondaire tout en contribuant.
Mais j’ai identifié également un certain nombre d’avantages que la pratique de l’improvisation théâtrale m’a donné par rapport à mes collègues non improvisateurs, et qui pourront probablement être mis à profit par des non pratiquants :
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Complicité et présence : en tant qu’improvisateur, j’ai tendance à regarder naturellement mon partenaire dans les yeux. J’ai aussi tendance à rester toujours à l’affut, alors que j’ai vu à plusieurs reprises (y compris sur d’autres pièces) des acteurs se figer lorsqu’ils n’avaient plus de répliques. En tant qu’improvisateur, j’ai aussi pu mieux gérer les imprévus (musique qui ne démarre pas, mauvaise réplique, entrée tardive d’un partenaire…).
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Écoute : en improvisation, je fais naturellement attention à ne pas parler en même temps mes partenaires. Et malgré le texte, c’est quelque chose qui arrivait fréquemment. Ou alors, les bruits parasites causés par un acteur qui n’a pas de réplique mais qui était sur scène. Ou les dos au public. Ou les blocages visuels d’autres comédiens. Mais surtout, un des avantages de l’improvisation, c’est que nous apprenons à gérer le timing de nos répliques et la réaction du public qu’il faut prendre en compte avant de lancer la suivante, qui serait bien inaudible sous les rires, là où l’acteur s’entraine des mois durant à coller ses répliques et fait bien attention de n’en rater aucune, développant ainsi le réflexe de ne pas forcément prendre en compte la réaction du public. De même, après des heures de travail sur une scène, les réactions ne sont pas forcément là où on les attend, alors que je les anticipe souvent d’une demi-seconde en impro. En tout cas, j’ai le réflexe de les prendre en compte.
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Mise en scène : l’appropriation du texte et la mise en scène prennent tellement de temps qu’on ne prend pas le temps de travailler, de s’interroger sur l’objectif de chaque scène, de chaque réplique. Alors qu’en improvisation, le but de chaque réplique est quelque chose que nous apprenons à intégrer puisque nous sommes auteur à chaque instant.
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Gestion de troupe : peut-être est-ce du à cette pièce en particulier, mais je trouve que le metteur en scène a un rôle bien plus hégémonique que son équivalent en impro. Probablement est-ce du à la contribution des improvisateurs au texte de leurs scènes. Quoiqu’il en soit, cela peut priver le metteur en scène d’un feedback constructif.
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Relation au texte : j’ai l’impression de mieux «exploiter» mes répliques, je prend le temps de les poser. Peut-être est-ce du à mon petit rôle, ne voulant pas en perdre une miette? Peut-être est-ce du à l’épuisement des autres acteurs qui avaient plus de textes et qui parfois donnaient l’impression de se « débarrasser » du texte en répétition? En tout cas, je sais que je n’ai pas peur du silence, ce qui a pu rendre ma prestation plus vivante, alors que mes partenaires acteurs semblaient souvent de « rattacher » à leur texte.
J’ai pensé à plusieurs exercices d’improvisation pour aider les acteurs à développer les réflexes utiles de l’improvisateur dans leur travail :
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Touch to talk, Parler en chiffres : deux exercices qui permettent de remettre l’importance sur le non-verbal;
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Variations sur un texte : pour découvrir les possibilités d’interprétation d’un texte, même très simple;
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Word at the time, What come next : pour comprendre le but « narratif » de chaque réplique, de chaque action;
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Fast food Stanislavski, Statuts : pour développer des capacités simples de jeu d’acteur, et de présence;
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Give and take : pour apprendre à partager la scène et le focus.
De cette expérience, je retiens surtout le temps nécessaire pour commencer à s’amuser, qui dans notre cas a pu prendre deux ou trois mois avec une répétition par semaine. Mais le déclic, lorsqu’il a lieu est fort, et je n’ai rien ressenti d’équivalent en impro. Et la représentation de la première relâche une telle tension que c’en est vraiment jouissif.
Je retiens également qu’il s’agit de beaucoup de travail pour un résultat éphémère: quelques représentations à peine. J’aimerais connaître l’expérience d’un spectacle avec des représentations régulières. J’aimerais également essayer de jouer un rôle principal.
En somme, ce fut une belle expérience, riche en enseignements et en perspectives de travail. Je le recommande à tout improvisateur. Ce serait avec plaisir que je tenterais de nouveau l’aventure d’une pièce écrite. Je pense même qu’il s’agit d’une nécessité.
Un grand souvenir restera quand même l’appel à la prière pendant la représentation en plein air, alors que la pièce est sensée se passer dans un petit village bien franchouillard. Qu’à cela ne tienne, il faut que j’aille au delà du folklore et je vais essayer pour les mois qui me restent ici de m’intéresser et surtout de pratiquer le théâtre ou toute autre forme d’art vivant avec des artistes maliens ! A suivre…
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