J’ai assisté mercredi à un spectacle d’improvisation complètement scandaleux. J’ai préféré quitter la salle avant la fin du spectacle.
Je ne pense pas que les personnes qui n’avaient jamais vu d’impro auparavant et qui ont vu ce spectacle aient été particulièrement choquées.
Mais en tant qu’improvisateur, j’ai vraiment été embarrassé d’assister à ce spectacle “d’improvisation”. Ce n’est pas mon but de nuire aux deux improvisateurs qui étaient sur scène ce soir là. Je ne citerai ni leurs noms, ni le nom du spectacle. J’ai juste besoin d’exprimer mon ressenti.
J’y suis allé avec ma petite amie qui avait vu ce même spectacle, joué par les mêmes improvisateurs un an auparavant. Première déception, elle m’apprend qu’elle a vu exactement la même première scène soi-disant “improvisée”, un an auparavant. Je ne me décourage pas. Je me dis que cela fait partie de leur routine, de la mise en scène. En faisant une première scène “qui marche”, il s’assurent le rire du public. C’est un procédé douteux (et c’est surtout prendre le public pour des cons), mais bon…
Là ou ça devient débile, c’est qu’ils ont quand même demandé des mots avant la scène. Et pourquoi? Pour les placer de manière totalement opportuniste et aléatoire dans la scène, sans aucune cohérence, puisqu’elle est écrite à l’avance.
Je me décide quand même à prendre sur moi, à me laisser surprendre.
Les deux, trois scènes qui suivent sont du même genre, sauf qu’elles intègrent des “contraintes”, façon détournée de dire que les improvisateurs vont pouvoir placer les mêmes gags surfaits qu’ils répètent à chaque spectacle. A chaque fois le mot donné par le public est simplement “mentionné”, sans aucun lien avec la scène, comme pour s’en débarrasser – les improvisateurs étant trop occupés à se regarder le nombril en envoyant gag surfait sur gag surfait. On se rend rapidement compte en impro qu’un certain nombre de techniques assurent un rire facile auprès du public – construire une scène, par contre, c’est d’un autre niveau.
Mais le pire, c’est ce sentiment d’oppression qui me prend à la gorge. Pourquoi ai-je l’impression que les personnages sont éculés? Pourquoi ai-je l’impression qu’il n’y a aucune authenticité dans ce spectacle? Peut-être parce que pour moi, improvisation rime avec spontanéité et que je n’en ai pas vu une once dans ce spectacle… J’ai l’impression de voir des mini sketchs sur lesquels on aurait saupoudré les symboles de “l’improvisation théâtrale”: demander un mot, piocher une contrainte… J’ai l’impression qu’ils ont appris l’impro à l’envers.
Le seul moment où j’ai cru percevoir une once de spontanéité, c’est lorsqu’ils ont commencé à perdre le contrôle d’une de leurs scène, à force d’utiliser le gag facile de: “Ah, tu joues deux personnages en même temps alors que tu es un seul et même acteur, alors je vais appeler tes deux personnages successivement pour te foutre dans la merde…” Mais finalement, c’est passé bien vite. Par contre, je dois avouer que l’un des improvisateurs avait une bonne gestuelle, de bons bruitages, alors que l’autre donnait l’impression que chacun de ses personnages étaient issus de la même cellule souche de Patrick Bosso. Si seulement ils ne décrochaient pas à chaque seconde, ils apporteraient à leurs personnages un minimum de crédibilité…
Mais le comble, ce que je ne peux me résoudre à leur pardonner, ce en quoi ils me font honte en colportant une telle image des improvisateurs, c’est leur relation au public. Un improvisateur respecte le public, il tente de le mettre en confiance, il sait que le public fait partie de l’équilibre fragile de la représentation. Ces deux individus n’avaient pas le moindre respect pour les personnes présentes dans la salle. Ils interpellent quelqu’un pour un mot: “Toi, le chauve, un mot!” Sur une scène, ils demandent un livre à quelqu’un. Ils s’inspirent d’un passage, se moquant de la propriétaire du livre qu’ils jugent trop compliqué. Bref. La scène tourne mal, un vrai échec improvisationnel. Elle donne lieu à une énorme confusion, une de ces confusion dont on ne peut se sortir en général que lorsque quelqu’un dit “Coupez” se prétendant réalisateur, ou se réveille en sueur en criant “Ouf! Ce n’était qu’un rêve!”. Oui, ce genre de constat d’échec auquel on a tous un jour été confronté.
Mais non, leur ego est trop grand. Ils doivent finir sur un coup d’éclat. Alors quoi? Alors, l’un des deux pose le livre sur la tranche, le côté par lequel on ouvre le livre vers le bas. L’autre s’écrie: “Tu vas te le prendre ce coup de pied!”, interpellant l’auteur du livre. Finalement, le premier saute à pied joint sur le livre. Consternation dans la salle. Fin de la scène. Applaudissement. Haut-le-cœur pour moi.
Le livre est saccagé, et rendu à sa propriétaire. Je n’en peux plus, je quitte la salle.
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