Je ne dis pas cela à la légère : l’improvisation est l’art de l’échec.
L’improvisation est indissociable de l’échec, l’échec est sa condition d’existence.
Sans échec, l’improvisation devient certaine.
Elle est exécution parfaite, elle est maîtrise totale, elle est contrôle absolu.
Elle est absence d’instabilité, elle est absence de vie : elle est la mort.
Méfiez vous de ceux qui n’échouent pas.
Sont-ils encore vivants ?
Méfiez vous de ceux qui dédramatisent l’échec.
Certes, ils peuvent le faire avec les meilleures intentions du monde.
Mais l’échec n’est pas anecdotique.
Il est vital, il est central, il est viscéral.
Dédramatiser pour permettre le premier pas, d’accord.
Mais c’est tout.
Méfiez vous de ceux qui rentabilisent l’échec.
De ceux qui “débriefent” tout.
C’est à dire de ceux qui pensent que l’on échoue pour apprendre de nos échecs.
Ils veulent tout rendre utile, performant.
S’ils ne peuvent simplement vivre l’échec, sans le questionner,
pourront-ils seulement accepter leurs succès ?
(La réponse est non.)
(Un succès ne sera pour eux qu’un répit avant un autre succès : une drogue.)
Méfiez vous de ceux qui font de l’échec un spectacle.
Ils peuvent parfois être sincères et touchants, comme les clowns.
Mais ils “divertissent” : littéralement, ils détournent l’attention.
Croient-ils encore à ce qu’ils font ?
Aimez échouer, d’un amour vrai et pour lui-même.
Choyez les moments où vous ratez.
Encaissez la bouse.
Goûtez votre humiliation.
Cultivez votre frustration comme on cultive un jardin,
car cela veut dire que vous êtes humains.
Restez au sol.
Vivez pleinement la chute, jusqu’au bout.
La marche a besoin du déséquilibre.
Vivre, c’est apprivoiser la mort.
Aimez véritablement l’échec.
Sans le dédramatiser.
Vous deviendrez invincible, immortel.
Libres des histoires que l’on se raconte pour ne pas échouer.
Libres d’être et de découvrir ce que vous êtes déjà.
Mais si vous aimez l’échec pour devenir invincible,
vous n’aimerez pas l’échec pour lui-même,
et alors vous ne deviendrez pas invincible.
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Comme je l’ai souvent dit, si on déteste être projeté, on ne peut espérer devenir un maître du Judo. A mesure que l’on est projeté encore et encore, on doit apprendre à chuter et dépasser la peur d’être projeté. Alors on dépasse la peur d’être attaqué et l’on devient capable de prendre l’initiative de l’attaque. C’est seulement en s’entraînant de cette façon que l’on peut apprendre le vrai Judo.
Jigorō Kanō, fondateur du Judo [source]
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Si le Judo est l’art de la chute, l’improvisation est l’art de l’échec.
Et l’improvisation théâtrale est l’art de la bouse théâtrale. A mesure que l’on produit des bouses, on dépasse la peur de ne pas plaire. Alors on peut prendre l’initiative de véritablement créer, de libérer ce qui est en nous.
“L’imagination est le soi véritable” nous dit Keith Johnstone.
Nous avons besoin de croire que nous imaginons pour révéler au monde qui nous sommes vraiment. Le théâtre est l’art de l’observation du monde et des êtres vivants. L’improvisation théâtrale, lorsqu’elle aime véritablement l’échec, nous donne accès à qui nous sommes vraiment.
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