Rire et feedback : débriefing du Micetro

Oh la la. Ça fait au moins un mois depuis que j’ai publié mon dernier billet. Je ne suis pas très sérieux. Bon. Que s’est il passé depuis un mois ?

Les Improvisibles ont obtenu une licence pour faire des représentations du Micetro de Keith Johnstone, devenant la seule troupe à l’heure actuelle à être licenciée par l’International Theatersports Institute en France : yay! J’ai appris par mon contact à l’ITI que nous n’étions pas les premiers, et qu’une autre troupe avait été licenciée avant nous : les Improfessionals (c’était une licence ponctuelle à l’occasion du passage de Keith Johnstone à Paris lors de l’Improstival, qui avait animé un Micetro pour l’occasion). Un autre yay ! Et cheers to them parce qu’ils sont une lovely troupe !

Le Micetro, c’est vraiment un très très bon format. Pour ceux qui ne connaissent pas, et j’imagine que vous êtes nombreux étant donné la prédominance du Match d’Improvisation dans le monde francophone, le Micetro est un format compétitif où une dizaine de joueurs s’affrontent et sont éliminés par rounds successifs pour qu’à la fin il n’en reste qu’un, le “meilleur”, le Micetro. Le public attribue une note (de 1 à 5) à chaque scène, ce qui est selon moi un des aspect les plus innovants du format. Keith dit lui-même dans Impro for Storytellers (Trouble with feedback, p.54) :

I would have invented this form decades ago had I realized that the spectators could agree on a score. Hysterically funny scenes, scenes with genuine emotion (pathos), and scenes that tell stories get fours and fives, whereas players who are just being silly get ones and twos in spite of the laughter. This confirms my belief that laughter is misleading.

Ce que je traduis par:

J’aurais inventé ce format beaucoup plus tôt si je m’étais rendu compte que les spectateurs pouvaient se mettre d’accord sur une note. Des scènes hystériquement drôles, des scènes avec des émotions sincères (pathos), et des scènes qui racontent des histoires obtiennent des quatre et des cinq, alors que les joueurs qui font juste les imbéciles obtiennent des uns et des deux en dépit des rires. Cela confirme ma conviction que le rire est un mauvais guide.

Je ne saurais être plus d’accord avec Keith. Plus j’assiste à des Matchs d’Improvisation, plus je me rends compte que les joueurs ont pour seul guide (mais que font les formateurs?) la recherche du rire. A tout prix. Et sont souvent renforcés dans leurs comportements lorsqu’ils obtiennent lesdits rires du public. A titre d’exemple je vais vous raconter une scène dans laquelle j’ai joué lors d’une récente rencontre dans un bar avec une autre troupe (la troupe Eux dont je suis membre joue les troisièmes et quatrièmes dimanches de chaque mois à l’Abracadabar depuis le début de l’année, le quatrième dimanche du mois étant une rencontre).

C’est une improvisation mixte, je ne me souviens plus exactement du thème, mais il me semble que c’était “Un dimanche pluvieux” ou quelque chose comme ça. Bref. Je monte sur scène, et je suis décidé à jouer un personnage mélancolique, regardant tomber la pluie par la fenêtre. Le joueur d’en face arrive, et me dit en substance “C’est bien ici la Tour Eiffel? Car je veux me suicider!” OK, cool. Tu veux te suicider, c’est bien, c’est un peu brutal de me l’annoncer comme ça, mais bon, au moins la plateforme est posée, c’est génial! Moi je suis mélancolique, et je suis un peu indifférent à tout aujourd’hui, et puis je suis un peu choqué qu’un inconnu m’annonce qu’il veut se suicider. Mais je continue le dialogue avec toi, tentant quand même de te retenir. Il saute. Ok, jusque là ça va, c’est à peu près cohérent. Mais malheureusement, le joueur se sent obliger d’en faire trois tonnes en sautant, surjouant la chute, récupérant au passage les rires du public qui apprécie ce cabotinage. Alors là, tout s’enchaine. Le joueur semble convaincu que “Rire = Ce que je fais est bien”. CQFD. A peine son personnage mort, le même joueur remonte sur scène et m’approche à nouveau. “Je suis son fils! Oh mon père est mort! Je me suicide aussi!” Et le même joueur se suicide à nouveau! En l’espace de 10 secondes! Re-rire. Une joueuse de son équipe monte sur scène, m’annonce qu’elle cherche son fiancé. C’est lui qui vient de se suicider. Et donc, logiquement, elle m’annonce qu’elle veut coucher avec moi (rire du public à nouveau) : mais oui, bien sur, allons-y, c’est cohérent. Youpi, on continue dans le même thème, logique puisque “Rire = Ce que je fais est bien”. Enfin bref, je lui annonce que je ne peux pas coucher avec elle, car je suis homosexuel, et que c’est pour ça que je regarde mélancoliquement tomber la pluie du haut du premier étage de la Tour Eiffel: je veux faire mon coming out. La scène se finit sur mon personnage en train de crier au monde qu’il est gay.

[NB : Je suis en train de taper les notes de mon stage à Londres en février dernier avec Keith Johnstone. C’est ça qui me prend beaucoup de temps en ce moment, car je voulais justement mettre à dsposition de tout le monde mes notes de stage sur le blog dans mon prochain billet, mais bon, ça attendra un peu. En tout cas, à un moment du stage, Pattit Stiles, l’élève de Keith qui le connait depuis Loose Moose dit ceci: “Beginner Improvisers tend to fuck and kill things on stage,” ce que je traduis par, “Les improvisateurs débutants ont tendance à niquer et à tuer des choses sur scène.” Au vu des matchs auxquels j’ai assisté ou participé récemment, c’est on ne peut plus vrai!]

Enfin bref, tout ça pour dire qu’il y a un vrai danger à rechercher le rire du public, mais plus encore à y voir un critère de validation de la qualité des scènes. Mais je m’éloigne (je pourrai parler de ce match pendant des heures, ça n’a pas arrêté). Revenons au Micetro.

L’autre grand avantage du format est la présence de directeurs qui ont en charge la qualité des scène. C’est à dire, ils doivent assurer la cohérence globale du spectacle, puisqu’ils choisissent les scènes qui vont être jouées, ou les jeux d’improvisation faits sur scène, mais surtout, ils peuvent intervenir pendant les scènes pour donner des indications aux joueurs sur le déroulement de la scène, ou simplement leur apporter de l’aide lorsqu’ils en ont besoin. Ce qui est un peu un sacrilège quand on y pense en France, puisqu’on a l’habitude au théâtre de ne montrer qu’un “produit fini”. Vous imaginez, si le Metteur en Scène apportait des correction pendant la représentation? En pratique, cela aide les joueurs à moins se sentir obligés d’être “créatifs”, puisqu’ils peuvent compter sur les directeurs pour “cadrer” la scène par leurs indications.

Par ailleurs, gros avantage du format, tous les joueurs d’une même scène, peu importe leur participation, obtiennent la même note, évitant au passage le fait que certains “tirent la couverture à eux” comme on peut le voir en improvisations mixtes en Match d’Improvisation (cf. plus haut et le double suicide d’un même joueur…).

Mais ce qui était vraiment bon, c’est l’énergie débordante qui était présente lorsqu’on a joué ce format. Personnellement, j’étais directeur avec mon amie Lily, et j’ai vraiment eu l’impression d’un spectacle harmonieux, qui était varié en termes de contenus et de rythmes, et j’étais fier de ce qu’on avait offert au public: des bonnes choses, des mauvaises choses.. Mais surtout, il y a quelque chose de purificateur à recevoir une mauvaise note! A l’inverse du Match d’Improvisation, où à chaque scène, peu importe bonne ou mauvaise, il y a toujours une équipe qui “gagne”, au Micetro, une mauvaise scène est une mauvaise scène et on le dit! J’ai entendu tant de fois “C’était moyen, mais en même temps, c’est de l’improvisation, ça n’est pas facile!” Bordel de merde, arrêtons de compromettre avec la qualité! Quand le public donne un “un”, les directeurs et les joueurs ont compris le message. Et il faut aussi des “uns” dans un spectacle, ça fait partie du jeu… D’ailleurs, le public, magnanime, hésite souvent à en donner ce qui est dommage.

La flexibilité du format, puisque les directeurs choisissent le nombre de joueurs et le contenu des scènes, permet de tenter des choses innovantes: j’ai rarement vu en France des improvisations “avec Comité”, c’est à dire avec intervention directe de quelques membres du public pendant l’impro pour la recadrer (la dernière fois que j’en ai vu une, c’était justement, tiens donc comme c’est bizarre, avec Les Improfessionals et leur célèbre ‘Love Game’, où c’est un couple qui valide le jeu des improvisateurs). On se rend mal compte à quel point le public a lui-même les idées claire sur ce qu’est une “bonne” histoire. C’est dommage, mais j’ai l’impression qu’on prend souvent le public pour un con en impro, en se cachant derrière l’argument que “C’est de l’impro, c’est pas facile ce qu’on fait”.

Et puis, au fur et à mesure des improvisations et des éliminations, les scènes s’améliorent, et le public repart, finalement, heureux.

C’était bon!

Responses

  1. Matthieu Avatar

    Pour l’anecdote (parce que ton texte appelle à un long débat qu’il est difficile de tenir en un commentaire), à propos du “Vous imaginez, si le Metteur en Scène apportait des correction pendant la représentation?”
    Tadeusz Kantor, metteur en scène, figure majeure du théâtre expérimentale du XXème siècle était présent sur scène pendant les représentations, une “présence illégale” selon ses propres termes. Cela a provoqué beaucoup de réaction et de questionnement, mais il faut dire que Kantor dirigeait ses comédiens avec des buts artistiques forts et marqués. A mon avis pour intervenir et porter les comédiens, il faut être habité d’une vision artistique forte, ou alors le publique doit accepter d’être le spectateur d’un travail en cours plus que d’un produit fini (mais pourquoi pas).

  2. […] Micetro est un format de Keith Johnstone, dont j’ai déjà beaucoup parlé sur ce blog. Pour faire simple, disons qu’il est particulièrement intéressant car il s’efforce de […]

  3. […] de l’impro basée avant tout sur la recherche du rire et j’ai déjà exprimé sur ce blog que selon moi, celà était contre productif pour créer de belles […]

  4. […] non pas à apprécier une bonne scène, mais plutôt à apprécier les éléments dans cette scène qui vont le faire rire: gags, cabotinages (souvent sexuels), jeux de mots, et bataille pour le pouvoir. Autant les gags, […]

  5. […] mauvais feedback. J’avais déjà parlé du mauvais guide que constituent les rires du public, sur mon blog. Pour illustrer ce propos, Keith Johnstone prend un exemple. Il nous dit qu’après […]

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