Le problème avec Keith Johnstone, ou la nécessité d’avoir un “système”

Lien vers le GROUPE DE TRAVAIL KEITH JOHNSTONE

Le problème avec Keith Johnstone, c’est que son approche est un “système”.

Pour en prendre pleinement la mesure, il faut que l’ensemble du système soit intégré.

Je peux enseigner les tilts, mais pour que cela soit utile, il faut que j’enseigne la plateforme. Ce qui nécessite que j’explique la routine. Pour ça, il faut que j’explique avancer / ne pas avancer. D’une manière générale, il faut aussi qu’on travaille making things happen, being there et be boring. Et bien entendu le cercle des attentes. De plus, il vaut mieux instaurer un climat où l’échec est valorisé et où on make the other look good, ce qui prend du temps !

Sans parler du fait que Keith a travaillé toute sa vie avec des acteurs professionnels, donc son approche suppose de s’adresser à des improvisateurs capables de jouer des personnages et de ne pas décrocher, même si Keith a développé ses propres exercices de développement de jeu d’acteur et de présence sur scène. Sans parler également de sa théorie sur les statuts !

Et je n’aborde ici qu’une partie du système. Il faudrait également travailler les masques, l’improvisation dirigée, etc…

C’est l’ensemble de ces éléments qui crée un système cohérent qui permet à une improvisation théâtrale et narrative d’émerger sur scène. Et c’est cette improvisation théâtrale et narrative qui d’expérience apporte le plus de satisfaction au public.

Bien sur on peut apprendre auprès de Keith des choses individuelles utiles, des trucs, des jeux, des théories, un vocabulaire. On peut ramener ces choses dans nos troupes, mais si elles ne s’insèrent pas dans un environnement compatible, cela mènera essentiellement à des frustrations.

C’est pour ça à mon sens que Keith est si mal compris. Et c’est pour ça que sa théorie est si dure à enseigner. C’est pour ça qu’il est rejeté par beaucoup d’improvisateurs. Son système génère beaucoup d’attentes, surtout auprès de gens qui cherchent “autre chose”, mais est si complexe que beaucoup abandonnent.

On a besoin de temps, de confiance, de réflexion et de courage pour mettre un tel système en place.

Et idéalement, on a besoin de Keith. Car n’est pas Keith qui veut. Keith qui a inventé cette théorie (le mot qui convient serait plutot “découvert” puisqu’il se base essentiellement sur l’observation pour développer sa méthode). Keith le génie qui na jamais cessé de se questionner afin de devenir un meilleur enseignant. Keith avec son statut de gourou.

Mais surtout, Keith a une position privilégiée car il n’est pas lui-même improvisateur au sein des troupes qu’il lui arrive de diriger. Il est directeur, ce qui d’après ses dires n’a pas toujours été facile non plus. Ceci lui donne un avantage considérable pour orienter le travail sur scène. Beaucoup de troupes ne peuvent se permettre de confier à une personne unique ce rôle de “regard extérieur” et “d’orientation”.

Son système est donc un système complexe et extrêmement riche. Un système si riche qu’il en devient parfois accablant.

Mais pour ceux qui l’ont vu à l’œuvre, il produit des choses magnifiques ! Et vraies ! Qui apportent une grande satisfaction, au public comme aux acteurs ! Et qui résonnent profondément chez beaucoup de gens. Ce qui explique que ses ateliers soient toujours remplis, remplis de gens passionnés et d’origines si diverses. Car il y a quelque chose d’universel dans ce qu’il enseigne.

Si ça vous intéresse, venez essayer cette approche au Groupe de Travail Keith Johnstone qui se réunit chaque dimanche à Paris ! – (Edit 04/2011)

Responses

  1. Lily Avatar

    “On a besoin de temps, de confiance, de réflexion et de courage pour mettre un tel système en place.”

    Quand j’ai vu BATS Improv sur scène, j’ai vraiment pris conscience de ce que c’était de justement donner ce temps, ce courage et cette confiance. Ce sont à mon sens ceux qui ont le plus réussi à mettre en oeuvre le “système” de Keith. Et durant leur spectacle, ils prennent leur temps, ils se font confiance, ils n’ont pas peur qu’on parte, ils s’installent. Ca c’est pour la première demie heure, après je ne peux pas te dire, car j’étais trop prise dans le spectacle !

  2. Ian Avatar

    Ouais, j’ai l’impression que BATS est un groupe super!

    Et quand je disais “on a besoin de temps”, je parlais en années de travail au sein d’un meme groupe!

  3. […] fruits, cette théorie doit être mise en pratique de manière cohérente et collective. Ceci est particulièrement difficile à faire. Par exemple, on peut dire: “échouez avec plaisir” mais mettre en place une vraie […]

  4. ju Avatar

    Arriverais- tu en qlques phrases à résumer cette approche de keith j. ?

    je serai vraiment intéressée de le lire, mais il n’existe pas en français…

  5. ju Avatar

    sinon, cet atelier ,n’a lieu qu’à paris ?
    je cherche des stages à faire sur rennes…

    merci !
    ju

  6. […] m’a posé une question […]

  7. Ian Avatar

    Hello Ju ! J’ai résumé la méthode en quelques phrases ici : https://improviser.fr/2012/12/14/keith-johnstone-en-une-minute/

    Pour les stages, j’en offre également ! Toutes les informations sont ici : https://improviser.fr/stages/

  8. Ian Avatar

    Et son premier livre vient de sortir en français : http://www.impro-theatre.fr/

  9. mirabel Avatar
    mirabel

    Bonjour
    Il me semble que le mot “système” ne convient pas…ni “méthode”…Lui a orienté son travail de cette façon. Ses écrits en sont des témoignages. Si on veut “reproduire” ce qu’il fait dans ses groupes, on se trompe déjà et on va même contre ses propos sur l’éducation et la “l’auto-liberté” que suppose toute démarche artistique.

  10. Ian Avatar

    Bonjour,

    Merci pour ce commentaire très pertinent.

    Avant tout, je crois que Keith lui-même approuve le terme de “système” qui a été proposé par Theresa Robbins Dudeck dans sa biographie de Keith Johnstone (relue par Keith) : http://theresarobbinsdudeck.com/impro-system/

    La biographie s’ouvre sur une défense du terme “système” qui est je dois le dire, assez convaincante : le système est un tout cohérent qui nécessite une interaction de l’ensemble de ses parts.

    Pour moi, Keith a vraiment créé un système. Pas forcément au niveau des exercices ou des formats, mais au niveau des concepts : spontanéité, narration, authenticité et pertinence, qualité du processus plus que du résultat (pour moi, les thèmes centraux). Ces concepts s’alimentent et s’enrichissent mutuellement et si l’on en retire un, l’ensemble est beaucoup moins pertinent.

    Mon article s’adressait surtout aux personnes qui “piochent” dans la théorie de Keith et qui à mon sens, passent totalement à côté de l’intérêt de l’héritage de Keith. Si on veut travailler ce qu’a proposé Keith, il faut comprendre comment les exercices s’insèrent dans un tout cohérent.

    Keith est ambigu : il est pour remettre en cause les règles et les principes, mais il en a formulé lui-même à la pelle.

    Ma vision est que Keith a créé un “socle” qui permet à l’improvisateur de se libérer et de produire une improvisation théâtrale qui ait du sens. C’est naturel de vouloir reproduire cela.

    Mais effectivement, si on veut être absolument fidèle à l’esprit de Keith, il faut pouvoir faire le pas suivant dans l’inconnu et continuer ce travail de “recherche” qu’il a entamé et qui nécessite forcément de remettre en cause les choses.

    Keith est ambigu car il a eu à la fois une démarche “artistique” (qui fait appel à la créativité et à l’explosion des “règles”), mais également une démarche “scientifique” (qui nécessite de poser des hypothèses, de les tester et d’établir des “règles”). Il est donc dans une contradiction permanente, et c’est ça qui le rend si intéressant à mes yeux.

    L’idée qui consiste à dire qu’il faut tout remettre en cause et donc qu’on ne doit pas “reproduire” (comme vous le dites) ne me semble pas être cohérente avec ce que Keith propose. Vous dites que ses écrits en sont témoignage, mais je pense exactement l’inverse. Il faut voir le nombre de référence et de maîtres que lui-même a imité dans sa recherche : Chaplin, Stanislavski, Laban et tout ce qu’il a pris chez ses collègues du Royal Court !

    Tout cela est expliqué en détail sans sa biographie, qui est particulièrement éclairante.

    Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur votre parcours et comment vous approchez le travail de Keith ?

    Bonne journée,

    Ian

  11. Ian Avatar

    Deux derniers ajouts :

    1) J’ai écrit cet article en 2010 avant d’apprendre que Theresa Robbins Dudeck utilisait également le terme “système” dans sa thèse et sa biographie. J’ai été particulièrement surpris de découvrir qu’on arrivait à la même conclusion et au même terme !

    2) Si je pense que la théorie de Keith forme bien un système pour ses exercices et thèmes principaux, je dois aussi admettre que Keith n’hésite pas lui-même à piocher à droite à gauche dans toute une galerie d’exercices d’autres écoles. A la lecture d’Impro For Storytellers, c’est flagrant : il y a énormément d’exercices bizarres ou isolés, qui ne viennent pas de Keith (“Not my game” précise-t-il) et qui s’alignent plus ou moins harmonieusement avec les grands principes développés.

    Et dans ses ateliers Keith tente sans cesse de nouvelles choses, de nouveaux exercices ou de nouvelles variations : il est donc lui-même en création (même s’il le fait en cohérence avec ses hypothèses).

    Donc le système n’est pas “parfait” et est en constante évolution. 🙂

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