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La chose la plus importante peut-être lorsque l’on est sur scène, c’est la capacité à vivre avec le doute.
Les débutants sont intéressants de ce point de vue. Une fois dépassé le doute de pouvoir monter sur scène, celui-ci disparaît, car il est immédiatement remplacé par le plaisir qu’ils ressentent à vivre cette expérience nouvelle. C’est pour cela que de nombreux débutants ou troupes nouvellement formées sont très agréables à regarder. Le plaisir qu’ils prennent à jouer est suffisant pour connecter le spectateur à la scène, qui d’ailleurs, au-delà de ce qui est joué, est surtout sensible à l’énergie positive dégagée.
Dans un deuxième temps arrive un second doute. Une fois la question “Est-ce que je peux le faire ?” résolue (au passage, la réponse est oui, et la réponse est toujours oui, pour tout le monde, car il n’y a rien d’exceptionnel à monter sur scène), émerge la question “Est-ce que ce que je fais est bien ?”.
On cherche souvent la réponse à cette question dans la technique. Le comédien va développer un arsenal de personnages, un panel d’émotions, travailler toujours plus de textes ou suivre toujours plus de stages. Le problème, c’est que ceux-ci ne combleront jamais réellement le trou béant du doute qui commence à s’installer durablement. C’est comme écoper un navire qui prend l’eau. La technique est une solution provisoire.
Chaque stage que l’on suit, chaque technique que l’on ajoute (le scene painting, la plateforme, le tilt, l’abécédaire, le vieux, l’acte 1 scène 1 du Misanthrope, le petit numéro de clown, happy/healthy/sexy, les masques, etc…) ne fait que repousser le retour du doute. Chaque spectacle, chaque “j’ai passé un bon moment” ou “j’ai beaucoup aimé” d’un spectateur, chaque “c’était très bien quand tu as poussé cette émotion” ou “j’y ai cru” d’un professeur, comble le trou, mais pour un moment seulement.
Car une nouvelle question devient incontournable.
Cette question c’est “Pourquoi je fais ça ?”, question qui a pour corollaire “Est-ce que ça en vaut la peine ?”.
Alors on répond (enfin) à la question. Tout ceci n’est plus seulement un joyeux concours de circonstances, mais devient un choix.
Parce que ça me fait plaisir. Pour montrer à mon professeur qu’il se trompe sur moi et que, si, j’ai le niveau. Pour moi. Parce que c’est drôle.
Ça en vaut la peine, oui, car ça me donne confiance en moi, dit celui qui devrait suivre une thérapie.
Car j’aime l’improvisation, j’aime le théâtre, oui, mais toi, que leur apportes-tu en retour ?
Parce que je me fais des amis et qu’ils comptent sur moi… et j’aime me sentir indispensable !
Parce que je gagne de l’argent : au moins, c’est concret.
Parce que j’ai arraché une émotion ou un rire au public, quel exploit !
Tout ceci est une illusion.
La réponse est qu’il n’y a pas de réponse. Apporter une réponse, c’est renoncer, c’est tuer le doute. On trouve des réponses pour ne pas vivre ce doute.
En répondant à “Pourquoi je fais ça ?”, inconsciemment on établit également “Voici ce que je ne suis pas prêt à faire”.
Si je dis “Je fais cela pour mon plaisir”, je dis également “Lorsque je n’aurai plus de plaisir, j’arrêterai”.
Si je dis “Je fais ça, car j’aime les gens avec qui je le fais”, je dis également “Je n’oserai pas te demander de partir, même si tu n’as pas le niveau” (bien sûr, on peut aimer quelqu’un qui a le niveau, ce n’est pas le sujet, le vrai défi est de pouvoir jouer au niveau, indépendamment de si vous aimez la personne ou non).
Si je dis “Je fais ça pour le public”, je dis également “Je ne ferai pas de spectacle impopulaire, je n’oserai pas me faire un bide”.
Le doute est nécessaire. Sur scène, hors scène, partout.
Car quand je joue, quand je joue vraiment, je me mets à ressentir ce que je ressens à cet instant et à cet endroit, et je propose ce qui s’impose à moi, malgré le doute qui est là.
Est-ce que ce que je ressens est juste ? Pertinent ? Justifié ? Compréhensible ? Je n’en sais rien, mais j’ose le vivre pleinement.
Revenons à l’essentiel, le public paie (et même s’il ne paie pas, il paie avec le temps qu’il donne) pour vivre des choses qu’il ne peut pas, ou ne veut pas, vivre. Le comédien est celui qui accepte de vivre ces choses. L’incertitude du métier – que ferai-je dans un mois ? – fait écho à l’incertitude de ce qui va se produire sur scène – que vais-je vivre ce soir ?
On dit bien le spectacle “vivant”. C’est de vie dont il s’agit. Mamet résume cela en substance en disant “Le métier de comédien, c’est d’être confortable avec l’inconfort”.
Alors pourquoi je fais ça ? Parce que je ne peux pas ne pas le faire.
Je n’apporte pas de réponse illusoire au doute (“le professeur a raison”, “le public a raison”, “mes amis ont raison”, “j’ai raison”), je dis merde au doute et j’assume d’être comédien, d’être artiste.
Je tue le doute en montant sur scène pour qu’il puisse émerger dans la scène.
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