GTKJ du 10/11/2013
Souvent, au cours d’une scène, je vois l’improvisateur qui apparait. Je ne parle pas du décrochage.
La scène se passe bien, on vit l’instant présent, on pose une stabilité, on cherche l’authenticité et on explore le chaos. Mais d’un seul coup, l’improvisateur « sort la tête » et commence à écrire l’histoire, tout seul, ou fait une proposition qui montre qu’il a très bien compris le potentiel de la situation dans laquelle il est mais qu’il « botte en touche », qu’il « l’esquive ».
Un exemple tiré de la séance de dimanche (merci à tous ceux qui étaient dans cette scène, au passage) : une cliente questionne son coiffeur sur le fait qu’une autre cliente ait ramené des vélos (sales) DANS le salon de coiffure. La première cliente dit ensuite : « Elle n’a pas l’air d’avoir toute sa tête. »
Je me tourne vers le public : « Est-ce que vous diriez ça à haute voix si quelqu’un débarquait dans votre salon de coiffure avec deux vélos ? » Certains le feraient. Mais la majorité, probablement pas. Probablement que vous enverriez quelques regards désapprobateurs. Probablement que si le client vous regardait en face, vous souririez peut-être, reviendriez à votre coiffeur en demandant, chuchotant, « C’est qui ? ».
Mais l’improvisateur va tout de suite anticiper et aller dans le conflit (qui est un moyen de se protéger). Ou minimiser l’impact d’un changement futur.
Il y a plein de moyen de le faire :
- En anticipant l’événement : « Je sais ce que vous allez me dire. »
- En se présentant comme anormal : « J’ai dû boire un peu trop. »
- En présentant l’autre comme anormal : « Je crois qu’il a bu. »
- En minimisant l’événement : « Vous faites le coup à chaque fois ! »
Beaucoup de membres du public viennent chercher ça : voir l’improvisateur se sortir d’une situation difficile. Et oui, c’est grisant. Quand il s’en tire ou qu’il renvoie la balle avec brio à son partenaire, on applaudit et on célèbre intérieurement, comme si on avait vu un dresseur échapper à la gueule du lion.
Mais on vole au public la capacité à être engagé dans la scène. On remplace dans sa tête la question « Qu’est-ce que je ferais dans cette situation ? » par la question « Qu’est-ce que je ferais à la place de l’improvisateur ? » Et on l’empêche du coup de se projeter sur le héros de la scène.
Il y a pourtant un moyen simple de faire disparaitre l’improvisateur et de permettre au public de projeter. C’est d’arrêter de se poser la question « Ne serait-ce pas drôle si… » et de commencer à se poser la question « Ne serait-ce pas authentique si… » pendant qu’on joue nos scènes. Cette question vous empêche d’anticiper, vous recentre sur l’instant présent et crédibilise la scène pour le public.
“I’m pestered by people saying ‘Wouldn’t it be funny if?’ No one ever says, ‘Wouldn’t it be truthful if?’.”
– Keith Johnstone.
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Le risque, c’est qu’au nom de l’authenticité, il ne se passe plus rien. Ex : « Mais en tant que coiffeur, mon personnage n’accepterait jamais de vélos sales dans son salon ! » Oui, certes. Mais ça n’a rien à voir avec l’authenticité. C’est peu « probable », mais ce n’est pas « inauthentique » pour autant. On peut créer du chaos et rester authentique…
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