Ce soir, je suis allé voir un match d’improvisation. Je ne vais pas en voir souvent, car j’ai une certaine aversion pour ce format. Alors que c’est ce même format qui m’a poussé vers l’improvisation à l’origine…
J’ai longtemps pensé que c’est parce que j’évoluais dans le monde amateur que le format de match ne me plaisait pas. J’étais donc particulièrement enthousiaste à l’idée de me rendre à l’Elysée Montmartre pour assister au match “anniversaire” de la LIFI contre la LNI de Québec.
J’ai aimé le décorum, la salle et l’ambiance. Au son de “We Will Rock You”, nous tapions dans nos mains et frétillions d’impatience sur nos chaises en attendant les joueurs. J’étais chaud, bouillant d’impatience.
Et puis le match a commencé. Et puis…
Et puis rien. Je n’ai pas vu d’improvisation théâtrale. Je n’ai pas vu cette communion chaleureuse, cette rencontre entre deux équipes, ce plaisir de partager. Je n’ai pas vu de scènes. J’ai vu des bouts de scènes, des moments vrais. Mais pas de scènes…
J’étais déçu. J’étais même énervé. Énervé contra la performance des joueurs français, énervé contre les choix du public dans les votes et les étoiles, énervé d’avoir offert ce spectacle à Yvon Leduc, un des inventeurs du concept. Choqué que le public n’aie même pas daigné se lever à la fin du spectacle pour honorer un des concepteurs du format… Je suis encore très énervé au moment où j’écris ces lignes. Comment se fait-il qu’on passe autant de temps à ne pas jouer dans un match d’improvisation ? A quoi sert tout ce temps gâche hors des scènes en conventions, en pinaillages, en explications pesantes, en cabotinages ? Pourquoi siffler l’arbitre, lui qui est garant du jeu, et qui assure la qualité des scènes en recadrant les joueurs ? L’arbitre se plait-il dans le rôle de méchant, au point de ne même pas justifier ses fautes quand le capitaine québécois, à raison, insiste pour une explication ? Pourquoi à chaque annonce de la durée de l’impro par l’arbitre entend-on “5 minutes ? Oh la la !”. Énervé contre le public. Public qui par son rire, valide le comportement de certains joueurs. Ce qui fait rire ? Voici quelques-unes de ces “recettes du rire” :
- La violence entre improvisateurs, qui passe souvent par les personnages : insulter l’autre marche bien.
- Les cabotinages sexuels et scatophiles.
- Les jeux de mots.
- Les gags.
Où est le jeu ? Où est le beau jeu ?
Les québécois étaient excellents. Une présence dans l’instant, dans le moment. Une volonté de jouer et de ne pas retarder. De construire, d’aider l’autre. Tenir son personnage. En particulier, je voulais souligner le jeu de Réal Bosse et de Marie-Soleil Dion.
Réal Bosse est comme un enfant sur scène. Je n’ai pas noté le nombre incalculable de fois où son visage s’éclaire en regardant ses collègues sur scène alors qu’il est sur le banc, et qu’il se met à applaudir en voyant un beau moment d’improvisation. Il monte sur scène et il joue. Il joue comme un enfant joue à un jeu. Il est un peu canaille, cherche les autres, les toise… Il joue le jeu. Il s’amuse. C’est un vrai plaisir à voir.
Marie-Soleil Dion construit. Elle aide l’autre, propose, recadre. Donne un enjeu à la scène, souvent, rappelle cet enjeu, puis reconstruit là où les autres détruisent.
Les français m’ont déçu. Il y a dans le jeu de l’équipe française, mais de manière générale chez les improvisateurs français que je connais, une volonté à vouloir contrôler la scène (qui se traduit selon moi par une propension à jouer des statuts hauts). A revenir sans cesse sur les mêmes “outils du rire” cités plus haut. Comme s’ils cherchaient à se protéger. Là où dans le jeu québécois, il y a le plaisir du jeu, le gout du risque, dans le jeu français, il y a de la peur. Ils sont quasiment nus sur scènes, je ne vois que des “joueurs” qui se toisent, peu de “personnages”. La scène devient vite une bataille pour le pouvoir et le contrôle.
Tant de scènes ont commencé par des incertitudes totales, qui sont volontairement maintenues par peur de faire un vrai saut précis en avant dans la scène. Et surtout, un refus d’aller vers l’autre, une peur du contact. Combien de scènes ont vraiment commencé “en situation”? Si peu. Et bien souvent, ce sont les québécois qui ont proposé…
Un exemple : “Entre de belles mains”, à la manière de Molière, mixte, 8 min. La joueuse française commence par un monologue.
– “Ce jeune homme m’a l’air bien coquin. Aurait-il quelque chose derrière la tête? Laissons le nous aborder.”
Comment ne pas voir ici la joueuse s’adresser directement au joueur en disant clairement : “Je ne vais pas faire le premier pas, et en plus je te laisse construire”. Réponse du québécois :
– “Cette femme a l’air bizarre, elle parle seule.”
Bien répondu ! En un mot, il nous remet tous dans le moment de la scène, dans la relation. Pourquoi perdre du temps à ne pas jouer ensemble, alors que l’on a déjà si peu de temps de jeu.
Sur cette scène, les français proposent un joli décor en mimant le miroir. Joli, mais inutile. En effet, a part pour faire un gag, on s’en est peu servi dans l’histoire…
Mon ami Nabla, coach actuel de la troupe Eux, définit 4 débuts de scène typiques à éviter :
- relation prof-élève,
- donner un ordre,
- les relations transactionnelles (magasin),
- et la mise en scène de soi (type télévision).
Ce n’est pas une règle stricte (de belles improvisations ont vu le jour avec de tels débuts), mais simplement un constat que de manière générale, ce genre de début d’improvisation a peu de potentiel, car si l’autre accepte la situation, par exemple prof-élève, il se passe peu de choses durant toute la phase “d’enseignement”. La véritable action théâtrale est remise à plus tard.
Sur l’improvisation suivante, Jupe kakie et queue de cheval, le joueur français monte et pose directement un adjudant (encore un statut fort) qui ordonne à l’autre d’exécuter un mouvement. On ne va pas loin. On en profite pour placer le gag typique sur l’intelligence des militaires (“Les jambes jusqu’au sol…”). L’adjudant gifle sa partenaire, le joueur tapant en fait dans sa main. La québécoise, encore une fois, travaille avec ce qu’il y a de disponible et dit “Vous vous êtes tapé la main !”. Un bon début pour la remise en cause de la relation ! Pourtant, on refuse de construire dessus… Le contexte de la scène sera donné par d’autres joueuses québécoises qui monteront sur scène en support.
Une autre scène: Sacrée dégringolade. Pour une fois, on commence en situation, la joueuse québécoise, Marie-Soleil Dion, monte sur scène, apeurée. Le capitaine de l’équipe française mime de grimper. La joueuse propose un cadre, précise. Il s’agit d’un couple, qui va mal, qui part à la montagne pour se retrouver. Le français minimise toutes les propositions de l’autre.
Mick Napier, définit un certain nombre de “phrases types” qui ont tendance à tuer l’action. C’est Nabla, encore, qui m’a souligné ce passage du livre :
Quelques phrases typiques repérées par Mick Napier (de Chicago) au sujet des joueurs qui tentent de trouver une cohérence artificielle à certaines scènes. Cela provient de la peur des joueurs qui souffrent de ne pas trop savoir où ils sont au moment où ils le sont. Si vous y réfléchissez un tout petit peu, vous les avez déjà entendues plein de fois ces phrases… :
- It’s just weird: après une action de son partenaire à laquelle on n’arrive pas à se raccrocher
- Well, you’re just crazy: dire que quelqu’un est fou, ça permet de justifier qu’on est perdu dans ce monde
- First day / First time: permet de justifier que potentiellement, ça va partir en couille
- Every time we / you: dire que quelque chose est habituel permet de rendre cette chose classique, moins dangereuse
- I love / I hate: genre, ‘j’adore le ski !’. Permet de justifier que c’est ce thème qu’on va aborder, que c’est super important et que c’est pour ça qu’on vous le montre ! Si, si, c’est génial ! Youhou…
- This is the best … ever: la même chose que juste dessus. ‘C’est la meilleure tartine que j’ai jamais mangée’… Youhou…
- … is fun: et encore la même chose… ‘Tricoter, c’est trop marrant’… Youhou…
Dans cette scène, le joueur français dira au moins deux fois ce genre de phrases. Le joueuse prétexte qu’elle est fatiguée et commence à faire une scène. Réponse du joueur :
– “Depuis que je te connais, tu es tout le temps fatiguée.”
A un autre moment, le français :
– “On avait dit qu’on grimperait. Suis moi.”
Le “on avait dit” est surtout un prétexte pour contrôler à nouveau la scène, qui évolue encore rapidement dans une relation prof-élève, avec dans le rôle du prof, le français. Bien entendu, il en profite pour placer quelques gags :
– “Pour grimper, faudrait déjà monter en haut.”
ou encore lorsque la joueuse mime l’action
– “Grimper OK, mais à la paroi.”
La joueuse elle, fait tout ce qu’elle peut pour recadrer l’action, rappeler l’enjeu : “On fait ça pour notre couple.”
Toujours cette bataille pour le contrôle, au passage, en rabaissant l’autre. Un autre exemple, dans un scène complètement glauque, supposée être “à la Shakespeare”, Pétard dans la tête (sic!), la joueuse française refuse systématiquement de mourir. Elle ose même le “Je suis une espagnole, je vais mettre une heure à crever.” La scène est complètement portée par le québécois, Réal Bosse.
Autre scène, toujours la même histoire. Gorgone et gorgonzola (sic!), “à la manière de Zola” (double sic! Comment construire une belle histoire, quand le thème même pousse au gag ?), mixte, 8 min. La joueuse française joue la mère, une gorgone (on n’en est pas sûrs…) qui tient une pizzeria. Après une longue élucubration sur la virginité, la prostitution, et les cycles menstruels de sa fille (joueuse québécoise) mélangés aux ingrédients, lorsque le fils du poissonnier annonce qu’il va tondre la mère, celle-ci s’écrit :
– “Mes cheveux sont incoupables !”.
Plus tard dans la scène, elle dira :
– “Vous ne pouvez pas les couper, mais je vais le faire moi-même.”
C’est toujours la même histoire. Une bataille pour le pouvoir, motivée par la peur pour les français. Le plaisir du jeu, toujours visible, jusqu’à la dernière seconde, cela dénote un vrai courage pour tenir malgré tout dans ces conditions, chez les québécois.
Bravo. Moi, je suis déçu, mesdames et messieurs les joueurs québécois, que l’on vous ai proposé ça. Je suis déçu du score du match (victoire des français). Je suis déçu de l’attribution des étoiles (un seul joueur québécois, Réal Bosse, en deuxième étoile). Je suis déçu pour M. Yvon Leduc, qui nous honorait de sa présence.
Mais au fond de moi, je me réjouis, car j’ai vu ce soir des improvisateurs avec une grande âme, un grand courage, capable d’être généreux dans l’adversité, poussant toujours plus loin le plaisir du jeu et l’entraide. Ce soir mes héros, sont québécois. Ce soir, je suis québécois.
Le match ne m’a toujours pas convaincu. En France en tout cas, je pense que c’est peine perdue. Qui sait, j’irai peut-être un jour au Québec…
Mais, j’ai quand même gagné un petit trésor ce soir. Les phrases de M. Yvon Leduc raisonnent, et pour longtemps encore, à mes oreilles : “Match et plaisir doivent primer par-dessus tout. […] L’impro, c’est la vie.”
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