Le cercle de la construction

Voici un schéma que j’ai créé pour aider les improvisateurs à structurer la dynamique de la construction en improvisation : c’est le cercle de la construction. Il est fortement inspiré d’Impro 1 et Impro 2 de Robert Gravel et du Manuel d’Improvisation Théâtrale de Christophe Tournier.

Ce schéma est simplificateur, mais a l’avantage de faire apparaitre trois “forces” et quatre “qualités” qui me semblent importantes pour développer une bonne improvisation théâtrale. Ces éléments peuvent servir de base pour proposer un atelier d’improvisation théâtrale ou pour débriefer une scène ou un spectacle.

Tout d’abord, l’improvisateur doit mobiliser et développer trois “forces” :

  • L’écoute, pour comprendre ce qui se passe sur scène, pour recevoir les messages de nos partenaires, leurs offres. Le public, lui, voit tout, sait tout, sent tout. L’improvisateur doit développer son écoute jusqu’à son maximum : percevoir l’imperceptible, voir l’invisible, entendre l’inaudible ! L’écoute permet avant tout de créer sur scène un climat propice à l’échange entre les acteurs. Mais écouter, c’est aussi être changé par ce qui est dit…
  • L’acceptation : ce qui a été entendu, vu, compris, doit ensuite être accepté. L’acceptation, c’est le fait de dire “Oui” à la scène, même si cela ne se traduit pas nécessairement par un “Oui” verbal sur scène. C’est la force qui permet de construire ensemble.
  • La proposition : proposer, apporter des éléments nouveaux à la scène. Si les deux premières forces sont essentielles pour faire tourner la machine, le moteur de l’improvisation en quelque sorte, alors la proposition est le carburant de l’improvisation théâtrale. Sans elle, on n’avance pas. On ne sais pas où on est, qui on est ce que l’on fait… Avec elle, on sait tout ça, et mieux, on découvre des contrées inexplorées que nous n’aurions jamais cru pouvoir exister au départ de la scène.

Pourquoi parler de “forces” ? Parce qu’il s’agit, pour l’improvisateur, de l’équivalent de “muscles” qu’il peut développer. A force d’entrainement, il grandit, devient plus fort, et met ses forces nouvellement acquises au service de la construction de l’histoire et de la scène.

A côté de ces trois forces, on trouve des “qualités”. Ces “qualités” ne sont pas immédiatement utilisées dans la dynamique de la construction, mais elles créent un environnement favorable à celle-ci. J’utilise le terme de qualités car il me semble qu’elles sont plus passives que les “forces” évoquées plus haut. L’improvisateur doit les cultiver, mais elles dépendent également de son environnement, de ses partenaires, du format retenu, etc… :

  • La spontanéité : sans elle, rien n’est possible. C’est le ressort de base de notre créativité sur scène, et même de notre vérité sur scène. Se laisser surprendre, se laisser porter par notre spontanéité nous rend plus vrais.
  • La réactivité : impossible sur scène de ne pas percuter, de ne pas réagir à ce qui se passe. Le fait d’être “ailleurs”, de “décrocher” fait dérailler la mécanique du cercle de la construction.
  • La conviction : c’est “être” dans la scène. “Être” son personnage. Y croire à 200%. Ce qui nous manque en jeu d’acteur, nous pouvons le compenser par une conviction sans limite dans l’improvisation, dans la vérité de la scène qui se construit sous nos yeux.
  • La confiance : bizarrement, je la place en dernier, mais il s’agit bel et bien de la plus importante. L’improvisation est éminemment collective (même s’il existe bien sûr des improvisateurs seuls sur scène, ils ne sont jamais réellement “seuls”). La confiance nous permet simplement d’être bien dans notre environnement. To have a good time comme nous dit Keith Johnstone.

Dans le cercle de la construction, les “forces” évoquée plus haut sont linéairement dépendantes, c’est à dire que si une phase du processus manque, alors on ne peut plus avancer : car la construction est ici un processus itératif (j’accepte, je propose, j’écoute, j’accepte, je propose, j’écoute, etc…).

Les “qualités” évoquées ensuite sont plutôt pour leur part simultanément interdépendantes, elles s’affectent mutuellement :

  • Sans confiance, difficile d’être spontané.
  • Sans réactivité, comment croire à son personnage ?
  • Être spontané nous pousse à être véritablement surpris de nos propres idées sur scène, à être vraiment affectés par elles, et donc à être plus convaincus.
  • Etc…

Dans le schéma ci-dessus, ces quatre “qualités” sont comme un socle à l’édifice du cycle de la construction de l’histoire. L’interdépendance des qualités est ce qui fait à la fois la force et la fragilité de l’équilibre : si un élément fait défaut, la structure à plus de risque de s’écrouler. Inversement, on peut compenser un manque dans l’une de ces qualités en renforçant une autre…

Au final, on peut évidemment remettre en cause la simplicité du cercle de la construction et le choix des qualités ainsi que le nombre retenu, mais ce schéma a le mérite de proposer une typologie utile pour l’improvisateur débutant qui cherche à analyser des scènes et progresser. N’hésitez pas à vous en servir !

Responses

  1. guybrush Avatar

    Hello U,

    Très intéressant ton article. Effectivement, cet article en est l’exemple, tu as choisi d’adopter une analyse très “théorique” et académique de l’improvisation. Et d’ailleurs c’est très intéressant de proposer une vision cartésienne d’une pratique finalement très “psychologique”. Comme tu l’as dit sur mon blog, mes récits concernant l’improvisation sont très “personnels”, je dirais même euh… je trouve plus le mot juste mais disons “sentimentaux” (c’est vraiment pas le bon mot)…

    Je trouve que ces deux approches sont vraiment complémentaires et tout aussi intéressantes à découvrir. C’était la pensée du jour, très bonne continuation, à plus 😉

    -Guyb-

  2. Ian Avatar

    Tu sais, j’aime vraiment beaucoup tes articles: ils sont souvent intimistes, et ça met vraiment l’improvisation à la portée de tous. Bref, ça donne envie!

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